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samedi 3 février 2018

La France, Israël et Jérusalem par Alain PIERRET



LA  FRANCE,  ISRAËL  ET  JÉRUSALEM

Par Alain PIERRET

Ambassadeur en Israël 1986-1991

            

          En fonction depuis un an maintenant et déjà auteur de déclarations fracassantes tels les «pays de merde», le président américain a surpris une nouvelle fois le monde en reconnaissant le 6 décembre dernier «Jérusalem capitale d’Israël», avec son intention d’y installer l’ambassade de son pays. Quinze jours plus tard, l’Assemblée générale des Nations Unies condamnait à une large majorité cette décision considérée comme une provocation inacceptable. La France y avait apporté sa voix. Il n’en demeure pas moins qu’Israël, même sans le soutien américain, ne lâchera pas Jérusalem dans sa globalité.



            Jour ordinaire dans notre calendrier grégorien, le 19 avril prochain sera jour de fête en Israël qui célébrera selon le système lunisolaire hébraïque les 70 ans de son existence, tout particulièrement à Jérusalem. Le monde, et pas seulement les pays arabes, ne manquera pas de renouveler critiques et condamnations pour ce qu’il considère comme une violation flagrante du droit international. En effet, selon la fameuse résolution 181 du 29 novembre 1947, un statut spécial est réservé à cette cité que plusieurs siècles durant les cartes représentaient au centre du monde.
            Espérant qu’un peu de désordre pourrait continuer à servir ses intérêts, la Grande-Bretagne avait en 1946 accordé l’indépendance à un royaume hachémite de Jordanie, de l’est du Jourdain à la mer Rouge. Pour ce qui restait de la Palestine mandataire, la résolution de 1947 prévoira la constitution de deux «États indépendants arabe et juif» au plus tard le 1er octobre 1948, soit deux mois après le départ des troupes britanniques. À aucun moment, le texte des Nations Unies n’évoque la création d’une Palestine arabe. Il faudra attendre la réunion du Conseil national palestinien à Alger en 1988 pour que soit créé par Arafat un État de Palestine avec Jérusalem pour capitale.
            Administrateur colonial, capitaine dans l’armée de la France libre et compagnon de la Libération, catholique revendiqué, Thadée Diffre débarque à Haïfa au printemps 1948 et prend le pseudonyme de Teddy Eytan. Six mois plus tard, à la tête d’un commando de la Haganah, il s’empare de Beercheva. Dans ses souvenirs publiés en 1950 sous le simple titre «Néguev», les «Palestiniens autochtones» étaient pour lui les «sabré», ceux qu’on appelle aujourd’hui les sabras ou Juifs nés en Palestine, son camarade Noury Cohen, «Madame Sachs, une Palestinienne millionnaire[1]» qu’il va rencontrer. Les Arabes ne sont mentionnés que comme tels. Ils n’étaient pas palestiniens.

            Dès 1948 et jusqu’à Kippour de 1973, les Arabes de Palestine intégrés dans les forces arabes ont fait à trois reprises la guerre à Israël et trois fois ils l’ont perdue[2]. Ces échecs répétés ont permis au nouvel État juif de prendre puis d’annexer Jérusalem. Le lui reprocher comme il est coutumier, en dénoncer le caractère illégal, serait admettre que l’emploi des armes par les Arabes prévaut sur le droit international reconnu dans les documents adoptés par les États membres de l’ONU. Ceux-ci n’ont pas valeur juridique imposable aux parties[3].
            Au printemps, Emmanuel Macron fera au Proche-Orient le pèlerinage obligé de tout président de la République. Déjà rendue compliquée du fait des troubles, des conflits politiques et/ou religieux qui embrasent la région depuis plusieurs années, sa tâche n’a pas été facilitée par ses prédécesseurs.
            Le projet de conférence internationale lancé par François Mitterrand fin 1985 a échoué à Madrid six ans plus tard. La réception d’Arafat à l’Élysée le 2 mai 1989 au jour de la commémoration de la Shoah, l’octroi d’une «garantie de non-agression» présentée au Conseil de sécurité mi-janvier janvier 1991 contre «l’intention» de Saddam Hussein de procéder à l’évacuation du Koweït en sont les témoignages les plus marquants. Plus récemment, on a vu ce que pouvait donner la rencontre réclamée par Laurent Fabius, avant son départ du Quai d’Orsay pour le Conseil constitutionnel, puisqu’elle contenait la reconnaissance d’un État palestinien en cas de blocage.
            En octobre 2016, l’Unesco a de son côté adopté une résolution n’accordant qu’aux seuls musulmans droits et facilités sur l’esplanade sainte. En s’abstenant, la France a en fait donné son accord, alors que l’Allemagne et le Royaume-Uni s’y opposaient. Ce document témoigne encore d’une méconnaissance délibérée de la culture historique et religieuse des lieux saints. L’expression «mosquée Al-Aksa/Al Haram Al-Sharif» figure 18 fois dans ce texte. La mention de la Place Al-Buraq sans parenthèses ni guillemets est complétée par «("place du Mur occidental")», ce qui montre le peu de cas que l’institution et notre pays accordent à l’histoire du peuple juif auquel appartient sa nouvelle directrice. Ce qui ne facilitera pas sa tâche.
Alain Pierret avec Jacques Chirac, Yitzhak Shamir et Teddy Kolek

            De fait, pour la France, selon les arrêtés publiés au Journal officiel en 1985 et 1993, la capitale d’Israël est Tel Aviv. Lorsqu’ils viennent s’entretenir avec leurs homologues, tous nos responsables politiques se rendent avec l’ambassadeur à Jérusalem qui, on le sait, n’est pas sous sa responsabilité administrative.
            Autre aspérité dans les relations franco-israéliennes, la situation singulière du monastère d’Abou Gosh. Propriété nationale de plusieurs hectares à proximité de Jérusalem mais située en territoire israélien non contesté, il dépend du Consulat général. L’explication s’en trouve dans une «légère dérogation» prise au lendemain de l’indépendance «pour des raisons d’ordre purement pratique» (état des routes notamment) depuis longtemps disparues.
            Outre ces difficultés, le Président devra naturellement traiter d’un autre sujet de grave préoccupation, l’occupation des territoires et le développement continu des colonies de peuplement. La formation d’un seul ensemble, fut-il sous forme confédérale, paraît difficilement envisageable. On en revient donc à la formule de deux États, Israël et un pays arabe de Palestine lui aussi indépendant et souverain. Leurs limites seraient celles de 1967, hors Jérusalem.
            Les Israéliens ne renonceront pas à leur capitale. Pour leur part, les Palestiniens associent politique et religion, indûment puisque, leur capitale ne saurait exister sans comprendre l’Esplanade dite des Mosquées, voire le Saint-Sépulcre, position embarrassante pour notre France laïque.

            En conférence de presse le 17 novembre 1948 au lendemain de la prise du Néguev par les Juifs, le général de Gaulle s’était dit «fort étonné qu’en définitive Jérusalem ne fît pas partie de leur État, à la condition qu’il y ait pour Jérusalem un régime international qui assure les droits de la chrétienté».
            À l’époque, les musulmans ne comptaient pas, mais le principe demeure. Il faudra trouver une capitale aux nouveaux Palestiniens. Le choix d’Abu Dis, proche de Jérusalem, est évoqué. Pourquoi pas Hébron, la plus grande ville arabe de Cisjordanie. On y trouve le caveau des patriarches où Ismaël et Isaac ont enterré leur père Avram, Ibrahim - Abraham, lieu saint d’importance pour le judaïsme et l’islam, actuellement sous contrôle israélien. Les Palestiniens en assureraient la gestion comme le feraient les Israéliens à Jérusalem. Ce serait en quelque sorte établir un équilibre qui contraindrait les deux parties à la modération. Les unités militaires assurant la sécurité du petit quartier juif, conservé contre toute équité, au centre-ville s’en retourneraient de l’autre côté de la frontière, ses habitants étant naturellement libres de rester sous administration locale ou d’en partir.
            La même question se poserait pour l’ensemble des territoires d’une Palestine souveraine. La paix étant assurée, la manne que les États-Unis dispensent généreusement à Israël pour sa défense pourrait, au moins pour partie, aider au retour de certains exilés comme au déplacement des habitants des colonies qui le souhaiteraient.
            Utopie ? Sans doute. Benjamin Netanyahou se réjouit de la position du président américain sur Jérusalem. Il soutient également que l’accord avec l’Iran sur le nucléaire doit être dénoncé. D’un autre côté, la récente déclaration de Mahmoud Abbas à Ramallah n’incite guère à l’optimisme, d’autant qu’elle est rejetée à Gaza par le Hamas. Enfin, les conflits qui déchirent le monde arabo-musulman ne sont pas de nature à encourager les États voisins à prendre, comme dans le passé, la défense des revendications palestiniennes.






[1]. Ayala Zachs-Abramov, veuve d’un homme d’affaires canadien tué au front en 1940. Elle-même débarquera en Provence avec le grade de capitaine. Jack Lang lui refusa l’organisation à Jérusalem d’une exposition de peinture française contemporaine.
[2]. Objecter qu’en 1967 le premier coup de feu a été tiré par les Israéliens, c’est oublier que le blocus imposé par l’Égypte était un acte de guerre. Ce que, en sens inverse – interdiction d’accès de l’Europe aux produits anglais – Napoléon paya cher (campagne de Russie).
[3]. La France ne respecte pas les résolutions prévoyant 0,70 % du PIB annuel pour l’aide publique au développement (APD), décidées à l’ONU et confirmées par la FAO dans les « Objectifs du Millénaire » adoptés en 2000. Des milliards d’euros chaque année qui auraient pu nous mettre en meilleure position pour limiter l’afflux des migrants africains.

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