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samedi 30 septembre 2017

La solitude des Kurdes qui rêvent d'un Etat




Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

            

          Malgré la pression des États-Unis, de la Turquie et de l’Iran, des millions de Kurdes ont voté à l’occasion d'un referendum historique et 92% des électeurs se sont prononcés pour l’indépendance. La Turquie et l’Iran accueillent des populations kurdes importantes qui, paradoxalement dans ces pays, ont exprimé une forte opposition au referendum, certainement par crainte de représailles contre leur population. Des menaces avaient été brandies pour tenter d’infléchir le résultat du vote, en vain.




            La Turquie avait déployé des chars le long de sa frontière tandis que le premier ministre turc, Binali Yildirim, avait prévenu que les résultats du referendum seront considérés comme «nuls et non avenus». Le parlement turc, de son côté, avait prolongé le mandat des troupes turques stationnées en Irak et en Syrie. Enfin, le président Recep Tayyip Erdogan avait menacé de sanctions économiques paralysantes le Kurdistan irakien en incluant l'étanchéité de la frontière de Habur qui représente la seule sortie des Kurdes irakiens vers l'Ouest. Il a même envisagé la fermeture du pipeline qui transmet le brut irakien kurde aux terminaux d'exportation sur la rive méditerranéenne de la Turquie.
Soleimani

            En représailles, l'Iran a annulé les vols commerciaux vers le Kurdistan irakien et a déjà bombardé les combattants kurdes iraniens sur le côté irakien de la frontière à Haj Omran. Qasem Soleimani, chef de la Force Al Qods de la Garde révolutionnaire iranienne, a été envoyé à Sulaymānīyah pour inciter les rivaux de Barzani de l'Union patriotique du Kurdistan (PUK) à réagir. Pourtant, après une période d’hésitation, le PUK a encouragé ses partisans à voter.
Barzani

            La Turquie et l’Iran jugent que le referendum est une prise de pouvoir par Barzani, affaibli par un ralentissement économique dû à la baisse des prix mondiaux du pétrole et au refus de Bagdad de livrer aux Kurdes leur part du budget national.
            Dans une attitude similaire à celle qui avait été adoptée avant-guerre à l’encontre des Juifs, l’Occident ne semble pas pressé de favoriser l’émergence d’un État indépendant kurde parce qu’il ne veut pas entrer en conflit avec les deux pays majeurs de la région. Et pourtant, depuis le début des hostilités en Syrie, les Kurdes ont été les seuls combattants à freiner et à s’opposer à la marche conquérante de Daesh. Ils ont été toujours été isolés dans leur combat pour des raisons de haute politique opportuniste. Certainement en raison d’une communauté de destin, seuls les Israéliens ont cru en eux en leur fournissant une aide militaire, des moyens financiers, du matériel de guerre et une formation d’officiers par Tsahal.

            Les Kurdes irakiens disposent déjà d’un territoire autonome au nord du pays, avec un embryon de structure étatique et une armée de peshmergas bien entraînés. Ces combattants, qui intègrent à parité des femmes, ont réussi avec leurs armes légères à s’opposer aux forces de Daesh lorsque, au début du conflit, l’armée régulière irakienne fuyait les combats après avoir évacué Mossoul, la deuxième ville du pays. Aujourd’hui les Kurdes ont fait perdre du terrain à Daesh qui a reculé mais ce n’est pas du goût du pouvoir central de Bagdad, jaloux de ses prérogatives en Irak et en conflit ouvert avec les peshmergas. Les Kurdes n’ont jamais cessé le combat et ont repris plusieurs villages. Ils ont effectivement pris du temps pour éradiquer les sanctuaires de guérilla de Daesh en appliquant la tactique éprouvée des généraux prudents, formés à l’école de Tsahal, qui ont préféré préparer leur offensive afin de sécuriser le front pour repousser toute contre-attaque.

            Les forces kurdes d’Irak et de Syrie souffrent cependant de leur hétérogénéité car elles sont culturellement et politiquement très différentes. En Syrie, les Forces démocratiques syriennes (FDS) représentent une coalition arabo-kurde dominée par le PYD (parti de l’union démocratique), principal parti kurde de Syrie. Les Kurdes ont toujours refusé de qualifier leur combat de guerre religieuse. Ils ont tenu à préciser que leur projet était fondé sur une base territoriale et non ethnique avec «une administration basée sur des références ni nationalistes, ni confessionnelles».
            Les États-Unis ont démontré à nouveau leur erreur de stratégie au Moyen-Orient, en se montrant comme d’habitude frileux parce qu'il s'agit pour eux de toujours ménager toutes les parties. Ils ont annoncé, en même temps que la Turquie, qu’ils ne reconnaîtraient pas la création d'une région unifiée et autonome kurde en Syrie. Les Kurdes répartis dans quatre pays de la région : Syrie, Turquie, Iran et Irak attendront donc le bon vouloir des Occidentaux pour disposer de leur propre État. L’Occident ne leur doit aucune reconnaissance pour l’avoir sauvé contre une mainmise djihadiste. Il n’a pas compris que les frontières actuelles étaient artificielles et que la création d’un État kurde, à cheval sur quatre pays, était la condition pour ramener le calme dans la région et éradiquer le terrorisme. Mais Erdogan redoute l’existence à ses frontières d’une région kurde autonome en Syrie qui rejaillirait sur le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). En revanche, il ne s’opposerait pas à un État en Irak, loin de ses frontières mais il considère les Turcs comme des ennemis et pour cela, il s’oppose à toute solution raisonnable même si les combats ont lieu à la frontière syrienne.

            Les Kurdes sont les oubliés de la stratégie occidentale, un peu comme l’étaient les Juifs avant la création de l’État d’Israël. Il est difficile de comprendre leur isolement alors que ce sont les meilleurs guerriers qui ont affronté courageusement les sanguinaires de Daesh. Les Kurdes ont été mis à l’écart des discussions sur l’avenir de la région. On peut donc douter de la volonté des Occidentaux, et de la France en particulier, à aider ceux qui luttent depuis des décennies pour leur indépendance. La politique politicienne est cruelle car elle impose de ne pas indisposer les Turcs qui font partie de l’Otan et qui participent de ce fait au dispositif de défense de l’Europe, même si Erdogan se comporte en dictateur et même s’il bâillonne les media et emprisonne les récalcitrants politiques. 
            Les Kurdes prouvent tous les jours leur courage et disposent d’une expertise nettement supérieure à celle des soldats irakiens qui manquent de moral, de cohésion et d’idéologie pour le combat. On traite les peshmergas de milice alors qu’ils constituent une véritable armée en mouvement. Les autorités irakiennes ne sont pas tendres avec eux parce qu’elles craignent leur expansion, tout en les accusant à tort de ne pas être totalement intégrés au pays. Au lieu de les aider dans un combat commun contre les djihadistes, ils bloquent leur ravitaillement et s’acharnent à empêcher leurs convois d’armes de parvenir à destination. Le régime de Bachar Al Assad les combat aussi sans ménagement.

            S’ils disposent d’armes légères en quantité suffisante, les Kurdes manquent de missiles antichars Milan, de matériel lourd, de véhicules Ambush capables de résister aux mines, d’artillerie, et de véhicules blindés. Cela les rend, sur le terrain, totalement dépendants de la protection aérienne des Occidentaux. Or l’expérience a montré qu’ils étaient indispensables à la poursuite des combats sur terre. On ne pourra venir à bout de Daesh qu’avec les fantassins kurdes qui peuvent changer le cours de la guerre face à des djihadistes qui subissent actuellement de nombreux revers grâce aux frappes de l’aviation et surtout face au courage kurde.
            Dans le cadre d’une politique qui ne s’explique pas, les Occidentaux hésitent à fournir des armes lourdes arguant de raisons strictement politiques. D’une part ils regrettent que différents clans se déchirent et d’autre part ils craignent qu’elles n’arrivent entre de mauvaises mains, celles des Kurdes de Turquie qui combattent Erdogan. La concurrence est rude entre les factions qui refusent l’unification de tous les mouvements. Ainsi le PDK (parti démocratique du Kurdistan) dirigé par l'actuel président du Kurdistan, Massoud Barzani, et l’UPK (union patriotique du Kurdistan) dirigée par M. Jalal Talabani, ont d’abord été unis contre le PKK (Kurdes de Turquie) avant que l’UPK ne change de camp pour se ranger dans celui du PKK qui accusait le PDK d’avoir livré certains de ses combattants à la Turquie.

            Les Kurdes, qui rêvent d’un État, sont totalement abandonnés sauf par Israël. Benjamin Netanyahou leur a exprimé sans ambiguïté son soutien : «Alors qu’Israël s’oppose à toutes les formes de terrorisme, comme celui du PKK, l’État juif soutient par ailleurs les moyens légitimes qui sont à disposition du peuple kurde pour obtenir son propre État». Mais Erdogan ne l’entend pas ainsi et menace Israël «de revoir la politique de normalisation si Israël ne modifie pas sa position officielle de soutien à l’indépendance kurde». Israël n'a pas l'habitude de plier face au chantage venant de l'extérieur et encore moins face à celui d'Erdogan.

4 commentaires:

Paul ACH a dit…


Jacques Benillouche rappelle, à Ceux qui l’ont oublié, que les Kurdes étaient en Première Ligne contre DAESH.
Le Kurdistan doit être un État Libre, n’en déplaise à Ceux qui s’y opposent et qui sont des « Grands Démocrates ».

HAalg a dit…

Que le Monde sérieux, démocratique, moderne, des droits de l'homme et du citoyen répare une injustice planétaire après la réparation faite en 1948 à l'égard du Peuple Juif. Un Kurdistan aux Kurdes vivant sur la terre de leurs ancêtres, parlant leur langue et pratiquant leurs coutumes en toute liberté. De ce fait bravo à ISRAEL pour ce soutien à un Kurdistan, moderne libre et démocratique... Les Kurdes doivent avoir bien saisi la phrase célébre, à propos d'un foyer juif mondial « Si vous le voulez ce ne sera pas un rêve » de Theodor Herzl.

2 nids a dit…

face aux dictatures Syrie, Irak, Iran, et Turquie, il est évident qu'il faut soutenir un Etat Kurde indépendant et il serait souhaitable que l'Otan se retire de la Turquie, il n'est pas normal de protéger un pays qui refuse encore de reconnaitre sa responsabilité du génocide Arménien!! Ergogan mérite vraiment sa raclée autant par les Russes que par les occidentaux..

Gilbert BRAMI a dit…

La France, après la victoire sur l'empire Germanique et sur son allié islamique l'empire Ottoman, échangea la création d'un état kurde a cheval sur la Syrie, la Turquie l'Irak et l'Iran contre des actions de la société pétrolière Anglo-iranienne. Il est vrai, qu'en l'an 1920 ce peuple était laissé à l'état sauvage par l'empire Turc pour être utilisé dans des taches serviles et de chairs à canon par l'islam ottoman lors de la colonisation des états chrétens occidentaux. Notamment le reste de l'empire Byzantin, la Hongrie, d'une partie de Serbie. Et deux tentatives de colonisation de l'Autriche !