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dimanche 23 juillet 2017

Le pragmatisme d'Avigdor LIEBERMAN


LE PRAGMATISME D’AVIGDOR LIEBERMAN

Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps

            

          Avigdor Lieberman a beaucoup évolué, à la droite du Likoud, en abandonnant ses positions extrêmes. Considéré pendant longtemps comme un nationaliste pur et dur, favorable au Grand Israël, le ministre de la défense a décidé d’occuper l’espace libéré entre le Likoud et les sionistes religieux de Naftali Bennett. Il n’est plus le ministre qui pourrait mettre le Moyen-Orient en feu. Il sent que la faiblesse de Netanyahou, frappé par différentes affaires, lui offre une carte nouvelle à jouer. Il a aussi intégré l’idée que la séparation avec les Palestiniens serait la seule solution viable. C’est pourquoi, toute initiative est envisagée avec sérieux.



Lieberman, Dahlan

            On se souvient des entretiens secrets qu’il a conduits à Paris avec Mohamed Dahlan, le seul dirigeant acceptable par les Israéliens, capable de remplacer Mahmoud Abbas. En 2011 déjà, il avait élaboré un plan laissant intactes les implantations et confiant aux Palestiniens 45% de la Cisjordanie ainsi que des terres supplémentaires en Israël, prélevées sur une bande longeant la ligne verte en incluant de nombreuses villes arabes israéliennes. Il y trouvait un moyen de «judaïser» l’État d’Israël et surtout de le sécuriser face à la radicalisation de certains Arabes israéliens. Il avait surtout compris qu’il ne pouvait pas cautionner la radicalisation de la droite israélienne qui mène à l'impasse.
Qalqilya vu côté israélien

            Avigdor Lieberman avait présenté, en août 2016, un plan visant à étendre la ville palestinienne de Qalqilya au nord de la Cisjordanie pour construire 14.000 nouveaux appartements sur 2.500 dounams (250 hectares) prélevés sur la Zone C contrôlée par Israël. Cette extension, approuvée par le Cabinet, permettrait de doubler la population jusqu’à 110.000 habitants. Malgré le vote acquis, plusieurs ministres se sont opposés à ce projet dont le ministre de l'Environnement, Zeev Elkin, qui a estimé que «un gouvernement du camp national ne peut pas accepter une telle réalité. Pour autant que je me souvienne, le plan n'a jamais été discuté par le cabinet. L'avancement du plan, sans une discussion exhaustive du cabinet, est, à mon avis, une tentative des rangs supérieurs de l'armée de façonner une nouvelle réalité derrière le dos des politiciens, et je ne suis pas d'accord avec cela». 
En couleur l'extension de Qalqilya

         Le ministre de l'Éducation, Naftali Bennett, et la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, de Habayit Hayehudi, ont approuvé l’approche «carotte et bâton à l'égard des Palestiniens» mais ils ont exigé que le plan soit gelé jusqu’à ce que 14.000 logements soient approuvés en contrepartie pour les Israéliens de la zone C.

            La situation semble s’envenimer entre Lieberman et Yossi Dagan, chef du Conseil régional de Samarie, alors que le ministre de la défense justifie son projet pour raisons sécuritaires. D’ailleurs cette affaire divise le camp de la droite alors que se profilent peut-être des élections anticipées. Lieberman critique ouvertement le «droit messianique» que se sont alloué les sionistes religieux face à son «droit pragmatique et responsable».  Mais en fait il n’est pas mécontent de cette situation qui fracture la droite, modifiant ainsi le paysage électoral.
Yossi Dagan

            Ce plan de Qalqilya avait pour objectif d’influer sur la vague de terrorisme qui s’était développée depuis les territoires. Il avait été conçu par Lieberman dès son entrée au ministère de la défense avec le concours de Tsahal et du Shin Beth sous l’appellation «carottes et bâtons». Cette nouvelle politique tentait de favoriser les villes palestiniennes calmes pour pousser les plus turbulentes à suivre la même voie. Les services sécuritaires et le chef d’État-major, Gadi Eizenkot, avaient appuyé ces mesures positives pour la population arabe. La ville de Qalqilya a été choisie car il s’agit d’une ville tranquille qui se préoccupait d’abord de son développement puisqu’elle avait l’intention de construire un centre commercial et un zoo. Pour aller dans le sens du compromis, Israël a accepté de se défaire de quelques arpents de terre de la zone C pour l’attribuer en toute propriété aux Palestiniens parce qu’il n’y avait pas d’autres terrains disponibles autour de la ville.
Erdan-Elkin

            Le plan avait été approuvé par le Cabinet en 2016 mais les habitants des implantations n’avaient pas alors réagi, estimant qu’il n’y aurait aucune réalisation au final. C'était sans compter sur la détermination de Lieberman. Aujourd’hui, face à la volonté du ministre de la défense, le Conseil régional fait pression sur le gouvernement. Certains ministres, Zeev Elkin, Gilad Erdan et Israël Katz, ont décidé de bloquer le projet qu’ils avaient accepté car ils craignent aujourd'hui la déperdition des voix de leurs électeurs. Pourtant, les officiers de l’État-major ont tous appuyé le projet et ont donné leur imprimatur en ce qui concerne l’aspect sécuritaire. Ils pensent que cela pousserait la population à s’éloigner des options de terreur prônées par les radicaux islamistes. Bien que le projet ait été temporairement suspendu, Lieberman n’a pas l’intention de céder parce qu’il est «contre le droit messianique et qu’il combat les tenants d’un État binational».  Il sait qu’il peut compter sur l’appui des militaires.

            L’aspect purement politique n’est pas étranger à sa volonté de poursuivre son projet ; il a ouvertement renoncé à l’appui des habitants des territoires et des militants de l’extrême-droite. Son électorat se trouve parmi les Russes et les militants laïcs de la droite modérée, inquiets du poids des religieux. Il pense qu’il a un nouvel espace pour lui, à droite du Likoud. Au sein du gouvernement, il est passé du statut de «faucon» à celui de modéré et il n’est pas impossible qu’il soit rejoint dans sa stratégie par le premier ministre qui juge à présent les capacités de nuisance des leaders de Habayit Hayehudi avec beaucoup de réticence. Netanyahou reste très évasif, évite de prendre des décisions et il navigue entre deux eaux, entre ses militants du Likoud et ceux des sionistes religieux.
            Yossi Dagan veut faire exploser le plan de Lieberman en menaçant d’agir au sein du Likoud parce qu’il se vante d’avoir accumulé beaucoup de pouvoir dans les institutions du parti. Il envisage même de «mettre en place un autre candidat pour le poste de premier ministre qui serait engagé, par des actes et pas par des mots, à l'idéologie du camp nationaliste en Israël». Lors d'une réunion des dirigeants de la coalition le 18 juin, Netanyahou s'était éloigné du plan en prétendant ne plus se rappeler de la décision prise par le Cabinet à ce sujet. Drôle d’excuse d’une panne de mémoire de la part d’un premier ministre pour obtenir en fait un nouveau débat au sein du Cabinet et peut-être pour annuler la décision de 2016.
            Lieberman a rejeté la «manipulation politique» des habitants des implantations. Il a confirmé que le plan serait présenté en totalité pour nouvelle approbation du Cabinet.  Mais il pourra difficilement éviter une bataille politique à l'intérieur de la droite et peut-être même une crise politique. Il ne peut plus reculer s’il veut poursuivre sa marche vers le leadership de la droite modérée. Il n’est plus le populiste des élections de 2015 qui avait axé sa campagne contre la population arabe israélienne. Il n’hésite plus à afficher sa rivalité face à Naftali Bennett qu’il ne cesse de qualifier de leader d’une «droite délirante et messianique». Il l’accuse d’infantilisme en plaçant les intérêts de son camp d’extrême-droite avant ceux d’Israël et de la politique extérieure du pays. Il a expliqué qu’il existe à présent trois droites, la populiste représentée par la ministre de la culture Miri Regev, la messianique de Naftali Bennett et la sienne, la pragmatique qu’il voudrait rassembler dans une nouvelle entité.

            Les derniers sondages placent encore la droite en tête malgré les enquêtes criminelles qui touchent l’entourage de Netanyahou. Mais le centriste Yaïr Lapid et le travailliste Avi Gabbay reprennent du poil de la bête. Lieberman compte sur le déclin du Likoud et sur la  stagnation de Bennett pour revenir au sommet en appliquant sa politique pragmatique. Lui qui était persona non grata dans les Chancelleries occidentales dans ses fonctions de ministre des affaires étrangères, il veut à présent apparaître, en tant que ministre de la défense,  comme le bon élève américain qui applique le principe de «deux États pour deux peuples».

3 commentaires:

Dinah DOUÏEB a dit…

Clair et encourageant, un peu de raison et de pragmatisme ne peuvent pas faire de mal ! ! !

Elizabeth GARREAULT a dit…

Merci - article très intéressant sur ce politicien passé du personnage de "Cosaque" à celui "pragmatique" et parfois "yes man". Reste à savoir lequel des trois est le plus proche de sa vérité intérieure .

Paul ACH a dit…

Avigdor Lieberman a bien changé.
Dans cet Article de Jacques Benillouche, nous pouvons remarquer que le "faucon" a changé, même s'il n'est pas devenu "colombe".
Lieberman est la preuve vivante qu'il y a des dissensions dans le Monde Politique Israélien, et même au sein du Likoud.